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Christelle, l'audace d'essayer

Dernière mise à jour : il y a 7 jours

Avec Christelle, nous nous croisons une première fois aux BIS de Nantes sur une table ronde consacrée à l’âgisme. Christelle Belliveau exerce cette force d’attraction que peuvent avoir les personnes qui se consacrent à leurs passions. Les siennes ? Le chant et la voix. Christelle est chanteuse lyrique, comédienne, effeuilleuse, metteur en scène. Son travail est au croisement de plusieurs pratiques. Un éclectisme assumé qu’on retrouve dans ses créations. Quelques mois après les BIS, nous nous retrouvons à une soirée organisée par les Petits Frères des Pauvres pour célébrer les femmes âgées. J’ai eu le plaisir de l’interviewer pour Coup de vieilles. J’espère que son témoignage vous fera autant de bien qu’il m’en a fait !



Est-ce que tu te reconnais dans ce mot, "vieille" ?


Absolument pas. Quand j’étais enfant, je me sentais vieille. Quand j’étais petite, avec ma sœur on dansait, on chantait sur du Cloclo avec un mange disque orange. Quand il est mort, j’ai eu l’impression que le temps s’accélérait. A partir de là, j’ai eu des années où je me suis sentie vieille par rapport à ma tranche d’âge. J’avais 9-10 ans. Aujourd’hui, je ne me sens pas vieille. D’autant plus qu’il y a plein de moments où je me sens plus jeune que les personnes de mon âge. Un peu décalée.


Quel est ton âge ressenti ? 


Si je le prends à l’échelle de ma vie, j’ai toujours ressenti un décalage avec mon âge chronologique. Si je le prends sur un temps court, de journée ou même de semaine, ça peut varier énormément. Il y a des moments où je vais me sentir comme une petite fille : quand je crée, quand je fais de la mise en scène, quand je suis sur scène, que je fais travailler d’autres… Très souvent je me sens comme une enfant. A des moments de fatigue physique, tout à coup je me sens vieille. Mais sinon, pas du tout.


Je suis beaucoup plus heureuse aujourd’hui que je ne l’étais à 20 ans.

C’était quand même étrange que je me sois sentie si vieille quand j’étais enfant. Aujourd’hui, je suis parfois étonnée d’apprendre l’âge des gens : tout à coup en termes de nombre, de numéros, je vais être plus vieille qu’eux. Pourtant je me sens tellement plus jeune. Ou bien, je peux être complètement émerveillée de la jeunesse de certaines personnes dites âgées et qui sont dans quelque chose d’hyper pétillant. Plein de vie, plein d’envie. J’ai des amis très jeunes et des amis très vieux en termes d’âge chronologique. Ce n’est pas un critère pour moi.


L’autre jour, j’ai croisé une femme qui devait avoir autour de 80 ans. Une très belle femme avec un beau chapeau qui descendait vers la plage pour se baigner. Il lui manquait un sein. A la place, elle avait une cicatrice. Je me suis sentie remplie d’une gratitude immense en me disant : merci à nos aînés d’être avec le corps qu’ils ont, d’être dans cette liberté là, dans cette acceptation d’eux-mêmes. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas des moments où tu te juges toi-même et où tu te regardes d’une façon extérieure. Objectivement tu te trouves les cheveux blancs, les rides… ton corps n’a plus la même tête que quand tu avais 15 ans. C’était vraiment touchant. Je l’ai croisée et tout à coup ça m’a fait un bien énorme.


Comment dirais-tu que tu te transformes avec les années ?


Je suis beaucoup plus heureuse aujourd’hui que je ne l’étais à 20 ans. Pour moi, 20 ans n’est pas du tout le plus bel âge de la vie. Il peut y avoir quelque chose de l’ordre du regret ou de la nostalgie, parce qu’il y a des choses dont il est fort peu probable qu’elles arrivent dans ma vie. Ça, ça existe. Mais comme finalement j’ai fait et je fais toujours des choses qui me passionnent, m’enthousiasment ; comme je continue à être dans la création, je suis plutôt dans quelque chose qui est de l’ordre de la croissance, du développement, de l’ouverture, du rayonnement… d’un agrandissement de mon territoire plutôt que d’un sentiment de rétrécissement.


Le nouveau, l’audace existe toujours dans ma vie. Essayer des choses. S’autoriser à essayer. Et surtout accepter que je me sente toujours débutante. Même s’il y a des choses que je sais faire, que j’ai apprises, qui sont inscrites, quelque chose de l’ordre de l’expérience… très souvent je me sens comme une débutante.


Qu’as-tu essayé de nouveau ?


Le surf est récent dans ma vie. Quand j’ai commencé, j’avais 50 ans. Je peux citer une anecdote. Je croise des femmes 15 ans plus jeunes que moi, que je connaissais et qui quand elles me voient avec la planche de surf, font des réflexions : « tu es complètement folle de faire du surf à cet âge-là ! ». Elles se sentent beaucoup trop vieilles pour faire du surf. Parce qu’on a l’air totalement ridicule les premières fois. Tu tombes, les premières fois.


Tu dis que tu fais des choses qui te passionnent. Comment nourris-tu ces passions ?


Je m’épanouis en étant au service d’une expression. De quelque chose que j’ai envie de dire, d’expérimenter et d’oser faire. Mon intérêt pour la voix et le chant est inextinguible. Cet intérêt est autant vrai pour moi en tant que pédagogue, qu’en tant que chanteuse et interprète. Continuer à toujours mieux connaître, à développer, trouver des couleurs, travailler continuellement mon objet. Me remettre en question en allant faire des master class, en me confrontant finalement à l’autre. Ça, c’est dans l’espace de la pratique.


Ça existe aussi dans l’espace de la curiosité intellectuelle. Dans des lectures de travaux dans des domaines très variés : les connaissances scientifiques autour de la voix, les recherches qui sont faites, l’acoustique, l’anatomie de la voix…. Il y a aussi l’écoute des artistes. Entendre les nouveaux artistes, découvrir les nouvelles esthétiques, aller à la rencontre des gens avec qui je suis en pratique : soit mes collègues de travail sur scène, soit mes élèves qui m’apportent aussi beaucoup.


Un exemple récent de projet dans lequel je me suis lancée est la création d’un podcast qui participe à la transmission de mon travail : 62, Passage de la voix. C’est comme quand je décide de mettre en route un nouveau spectacle. Dans ma dernière création, il est question de sexualité et d’érotisme… De force érotique et en même temps de l’humour, de la tendresse qui l’accompagnent. J’ai mis des années à mûrir ce projet. Je savais que j’allais le faire. Ça a mis 15 ans, parce qu’il me fallait de la maturité. Peut-être qu’il m’a fallu tout ce temps pour avoir l’audace de faire ça. 


Pour ce projet, parmi les nouveautés que j’ai expérimentées, il y a l’effeuillage. J’ai fait la première formation professionnelle d’effeuillage alors que je n’avais jamais fait ça de ma vie et que ce n’est pas mon domaine d’expertise ni de compétence. Quand je me suis attelée à mettre en route New ardeur(s),  le projet était déjà bien avancé au niveau de la musique et du texte. C’est le moment où j’ai reçu une proposition de l’Institut National des arts du Music-Hall pour une formation professionnelle d’effeuillage destinée aux artistes intermittents. Quand j’ai vu ça, j’ai dit : « ça, c’est pour mon spectacle ». Dans cette formation, je me suis retrouvée avec des danseuses alors que je suis chanteuse. Avec des femmes qui avaient au minimum 20 ans de moins que moi, voire 30. Et j’étais la plus inexpérimentée puisque je n’étais absolument pas danseuse.


Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?


Je me demande si cette histoire de « vieux / vieille » est liée à notre rapport au corps. D’une certaine façon, heureusement qu’on a un corps. C’est lui qui nous permet d’exprimer tout ce qu’on a à exprimer. Heureusement qu’on est incarnés : c’est ce qui nous permet d’être vivants. Ce n’est pas parce notre corps est abîmé ou s’abîme, que notre intériorité, notre personne, notre possibilité d’être en lien, en création, en tous cas d’être en vie et en relation est abîmée. On a beaucoup de chance, en fait. Sinon on est une pâquerette, un nuage… ça laisse beaucoup moins de possibilités !


En tant que chanteuse, comme mon corps est mon instrument de travail, je suis très connectée avec ça. Avec mon corps. C’est une expérience très forte. Il y a la vibration, le plaisir du corps. Toute cette expression. On parle du corps, de vieillissement. Peut-être qu’après tout il s’agit de se sentir vivant. Chanter fait se sentir vivant.


Es-tu exposée à une forme d’âgisme dans ta pratique artistique et professionnelle ?


De fait, je pense que oui. On en a l’expression concrète sur la scène, avec l’âge moyen des femmes artistes. Comme chanteuse, j’étais déjà trop vieille pour tout quand j’ai commencé. Il y a un âge pour les concours de chant lyrique. Il faut arriver très tôt pour espérer faire une carrière en lyrique. Si entre 25 et 30 ans tu n’as pas été repérée en tant que chanteuse au niveau du milieu professionnel lyrique, tu as très peu de chances de faire une carrière au niveau international ou même national. A 30 ans, tu ne peux plus passer de concours de chant internationaux.


Pour le concours Nuits Lyriques de Marmande par exemple, il faut être né entre 1991 et 2006. J’ai commencé le chant tard. J’ai fait d’abord du spectacle, du théâtre. Beaucoup de théâtre. Dans le théâtre, j’ai toujours beaucoup utilisé ma voix. Je ne venais pas d’une famille de musiciens donc c’était un domaine un peu interdit pour moi, inaccessible. J’ai commencé par faire un peu de chant indien. Très vite après, j’ai voulu faire du chant lyrique. J’avais aussi rencontré le chant vers 10-11 ans, à l’école. Quand j’ai pu faire de la chorale en 6ème, c’était pour moi extraordinaire. Pendant une période, je suis partie à l’étranger et chanter n’était pas possible. La question s’est à nouveau posée à mon retour. C’est à ce moment que je m’y suis vraiment mis.


Un projet du moment à mettre en avant ? 


Pour l’instant la priorité est de diffuser le spectacle New ardeur(s). Le podcast a démarré en juin. J’ai aussi des idées pour un prochain spectacle. Autre actualité : en novembre, avec mon association Chant Libre, nous participons à la 11ème Quinzaine de l'égalité et de la diversité à Bordeaux. Plusieurs ateliers seront proposés, ainsi qu'une table-ronde sur le thème "Féminin, désir, âgisme : une révolution des regards est-elle en cours ?".

 

Pour aller + loin :


Propos recueillis le 31 Juillet 2024



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