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Quelque chose de pourri au royaume du jeunisme

Dernière mise à jour : 26 juil. 2021

Dans une société travaillée par des valeurs jeunistes, l’image des vieux laisse à désirer : entre invisibilisation et déformation caricaturale, les seniors et personnes âgées sont pris entre deux écueils. A quand une vision plus équilibrée du vieillissement, dans nos esprits comme sur nos écrans ?

Poupée Barbie

Mai 2020 : l’actrice british Judi Dench (vous savez, celle qui joue "M" dans James Bond) apparaît en une du magazine de mode américain Vogue. Anecdotique ? Peut-être. Toujours est-il que du haut de ses 85 ans, Judi Dench devient la personnalité la plus âgée à s’afficher en couverture de Vogue. L’événement est suffisamment marquant pour mériter d’être couvert par un certain nombre de médias, gargarisés de ce choix audacieux dans un milieu de la mode travaillé par les valeurs du jeunisme – beauté, performance, dynamisme etc. Même si l’initiative de Vogue surprend positivement et peut contribuer à faire évoluer dans le bon sens les mentalités sur le sujet, difficile de ne pas penser que c’est l’exception qui confirme la règle. Une femme de 85 ans en couverture pour combien de moins de 35 ans ? Qu’on le veuille ou non, les rides et les cheveux blancs n’ont pas la cote…

Pourtant le vieillissement démographique s’affirme comme une tendance de fond de nos sociétés, bouleversant les équilibres établis, y compris aux États-Unis. En France selon l’INSEE, les personnes de 65 ans et plus représentent à ce jour plus de 20 % de la population tandis qu’en 2040, cette proportion devrait atteindre plus de 25 %, soit plus d’un habitant sur quatre. Une nouvelle donne difficile à regarder en face ?


Comme le souligne un article de Slate sur l'âgisme anti-vieilles : "la peur de la dépendance, de la maladie et de la mort – qui sont la conclusion logique du grand âge – est commune aux deux sexes, et dans les marques physiques prononcées de la vieillesse, chacun voit les prémices d’un destin redouté. Cette peur entre pour partie dans l’hostilité inconsciente que nous pouvons éprouver pour une femme plus âgée dont les signes de déclin se voient et qui nous tend un miroir auquel nous voudrions échapper". Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la moins vieille… ?! Notre peur de mourir, de perdre nos capacités, d’être amoindris dans nos forces vitales nous conduirait à nier aux personnes âgées le droit d’exister ou du moins, de se montrer et de nous montrer, par un effet miroir, notre propre finitude.

Cachez ces vieux que je ne saurais voir


Ce phénomène expliquerait en partie l’invisibilisation dont les personnes âgées font l’objet dans les médias, la publicité, sur nos écrans et plus largement dans la vie de la cité, dans des domaines aussi divers que l’emploi, l’espace public (essayez de vous promener dans la rue en déambulateur ou fauteuil roulant…), la participation sociale et politique etc. Les personnes âgées, mais aussi et peut-être surtout, les femmes âgées. Car autant nous n’aimons pas les vieux, autant nous détestons les vieilles !


Sophie Dancourt, co-fondatrice de "J’ai piscine avec Simone", un média dédié aux femmes de 50 ans, le constate : "les mecs ont le droit de mûrir. Les femmes, non. Les femmes ne "mûrissent" pas : elles vieillissent (...) Les hommes ont l'âge de la "maturité", celui de l'expérience et de la sagesse. Mais dès que l'on parle de féminité et de "vieillesse" (ce gros mot), il est rapidement question de "date de péremption"".

La faute à la ménopause ? Sans doute en partie : en perdant leur capacité à procréer autour de 50 ans, les femmes en perdraient du même coup une de leurs principales fonctions sociales si ce n’est leur fonction sociale par excellence, la maternité. Cantonnées à leurs capacités reproductrices et/ou à leur rôle de belles plantes, objets du désir masculin ou "male gaze", en mamans ou putains qui se respectent, les femmes, comme d’autres catégories de la population d’ailleurs, ne seraient visibles que dans la mesure où elles seraient utiles. Mieux vaut être invisibles que mal représentées, direz-vous peut-être.


Good seniors bad seniors


Car l’image des vieilles et vieux véhiculée dans les médias de masse laisse à désirer : entre la vieille jeune qui fait figure de modèle (vous savez, cette femme aux cheveux blonds légèrement grisonnants, avec une pseudo-ride au coin des yeux, un sourire rayonnant, une dentition digne d’une pub Colgate, un regard pétillant et un teint lumineux, supposée représenter une femme soi-disant vieille alors qu’elle a 10 ans de moins que la cible qu’elle est censée incarner), entre la vieille jeune idéale et la vieille vieille façon Mamie Nova, Tatie Danielle et autres mémés socialement acceptables, de la plus autonome jusqu’à la grabataire… on se demande où sont passées les cinquante nuances du vieillissement. Autrement dit, où sont représentées les mille manières qu’ont les millions de femmes de 50 ans et plus de vivre leur vie, dans ce vaste intervalle entre deux figures caricaturales que tout semble opposer ? Soit la lutte pour la survie, contre les effets du vieillissement, soit la mort sociale ?

"Cantonner (les personnes de plus de 60 ans) à une image de personnes malades et vulnérables ou à celle de jeunes retraités dynamiques et sportifs ne permet pas de tenir compte de la diversité, ni de la réalité des situations des personnes âgées dans notre pays"

A croire qu’il n’y aurait que deux manières d’être et de vivre passé un certain âge : l’une, positive – la vieille acceptable, qui a su grâce à ses efforts, sa lutte endiablée contre les effets de l’âge, son pouvoir d’achat, sa crème ou ses soins miraculeux, conserver les attributs de la jeunesse ; l’autre, répulsive – la vieille inacceptable, qui a basculé du côté obscur de la force pour des raisons génétiques, socio-économiques, personnelles… raisons qui par ailleurs suscitent peu d’intérêt. Vous l’avez peut-être noté : cette vieille inacceptable est désexualisée, dé-féminisée (une vieille ménopausée, c’est bien connu, ne désire pas), bref, déshumanisée.

Un rapport parlementaire de Juin 2019 sur la séniorité des femmes le résume en ces termes : "cantonner (les personnes de plus de 60 ans) à une image de personnes malades et vulnérables ou à celle de jeunes retraités dynamiques et sportifs ne permet pas de tenir compte de la diversité, ni de la réalité des situations des personnes âgées dans notre pays". A quand une vision plus équilibrée des personnes âgées et en particulier des femmes, notamment dans les médias et autres leviers d’influence de nos imaginaires ? Si vous en doutiez, admettez qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du jeunisme…


Un coup de gueule à pousser pour apporter votre pierre à l’édifice de la lutte anti-âgisme ou de la promotion d’une société où tous les âges aient leur place ? N’hésitez pas à me faire signe en m’écrivant via la page "contact".

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4 Comments


carmencru
Jan 12

(le comm d'"alan" n'a rien à faire là, quelque compte fake ou piraté, vous devriez le supprimer)

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katerina
katerina
Feb 01
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merci pour votre alerte, c'est modifié

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carmencru
Jan 12

Déjà les jeunes retraités dynamiques "sachant vieillir" sont AISES (sinon riches) et bien entourés, ça joue. C'est pour tous les autres, les individus avec leur parcours plus ou moins chaotique que c'est un vrai défi. Quand on y pense, dans ces conditions, ça devrait forcer le respect d'atteindre un âge avancé sans le secours des spa, d'un habitat de qualitay, d'un reseau social (je n'ai pas dit s'oublier au profit des autres mais une vraie vie relationnelle et des projets), de la medecine anti age, de l'esthétique, etc.

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katerina
katerina
Feb 01
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Je vous remercie pour ce commentaire. Je vous rejoins sur l'importance de prendre en compte la variable financière et de ne pas ignorer le fait que certains parcours de vie sont difficiles. Et peuvent conduire à des expériences difficiles à un âge avancé. De mon point de vue, à nous de changer de regard aussi, individuellement et collectivement, pour créer les conditions du respect a minima, voire de l'admiration

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