Anne Zavan est conférencière, blogueuse, animatrice de communauté digitale et d’ateliers de prévention. Après une carrière en entreprise, elle crée l’association Des Soins & Des Liens pour prévenir les risques de repli psychologique et social liés à l'avancée en âge. Dans son blog Vieillir Bien vivant, elle redynamise le vieillissement à travers des articles décomplexés, des recommandations pratiques pour booster sa vitalité et des contenus qui dynamitent les idées reçues sur la vieillesse. Voici son coup de gueule, en toute irrévérence. Lecteurs politiquement corrects, détracteurs de l'humour et du second degré, s'abstenir.
Je crois que je suis atteinte de gérontophobie. Le pire et c’est vraiment horrible : c’est une maladie auto-immune, ce qui veut dire que je m’attaque à moi-même en refusant ce que je deviens. Cette maladie s’attrape vers les 60 ans quand on commence à changer. En quelques années, des personnes agréables, polies et raisonnables deviennent petit à petit odieuses, radines, intolérantes et tellement égocentriques. Et ce ne sont que quelques symptômes, il y en a d’autres qu’on murmure à voix basse à l’approche des contaminés.
Je suis redevable à l’âgisme, pour son remède de cheval qu’on peut même s’auto-administrer. L’âge, ce fléau, est partout, tout le temps et chaque année, il fête son anniversaire. Dans mon esprit, des mots comme "ménage", "grignotage", "balayage". J’ai un petit faible pour "rivage", condensé de "rides" et de "ravage". Il y en a 2 166 comme ceux-là. Ainsi, il ne va pas se faire oublier, cet âge. Il fait même du lobbying pour que l’accent circonflexe passe à la trappe avec la réforme de l’orthographe et qu’on puisse en mettre partout.
Le suffixe "-age", dans le dictionnaire, est décrit comme un élément "formant". Pour moi, il est plutôt déformant (l’arthrose, vous voyez). Vous tous, là, qui voulez vivre longtemps, réfléchissez, vous ne savez pas à quoi vous vous exposez ! A travers 8 symptômes particulièrement vicieux et inquiétants, je vais vous raconter ce que je deviens jour après jour (je vous épargne les autres, vous les verrez bien assez vite). Donc, je deviens :
1. Moche. Heureusement, ce n’est pas moi sur le tableau. Qui s’arrêterait devant celui-là ? Y a-t-il d’ailleurs quelqu’un prêt à sortir quelques millions pour avoir cette vieillerie dans son salon ?
2. Egoïste. Il semblerait que les Français les plus généreux aient plus de 50 ans et qu’ils concentrent 75% des dons. Encore de la propagande âgiste. Et puis si c’était vrai, ils sont vieux, donc plus aisés, donc c’est normal. Affaire classée.
3. Refermée. C’est la meilleure, avec tout ce temps à la retraite, seulement 1/3 des plus de 65 ans* se bougent pour faire du bénévolat. Bon, j’admets que, vers 85 ans, c’est peut-être plus difficile. Pas étonnant que certains disent que ça sent le renfermé chez les personnes âgées.
4. Dépassée. Il paraît que 47 %** de ces égoïstes feraient leurs dons en ligne. Comme je ne crois pas aux miracles, j’ai mal entendu, c’est le début de la fin, on a dû me dire pêche à la ligne. Mais il y autre chose : l’âge moyen des lauréats du Nobel ne cesse d’augmenter. Ces 10 dernières années, il était de 69 ans. Je pense que c’est truqué.
5. Irresponsable. Enfin, à quoi ressemblent ces photos de Karen Schaeffer*** ? L’autodérision n’est plus de leur âge. Ça se croit drôle alors que ça ferait mieux de se concentrer sur son pilulier pour ne pas se tromper de comprimés.
6. Avare. Chaque année, les grands-parents déboursent 1 650 € en moyenne pour leurs petits-enfants. J’espérais plus que 10 % de leur pension mensuelle. Déception.
7. Pantouflarde. Bette Nash, 91 ans, s’envoie encore en l’air comme hôtesse chez American Airlines. L’exception qui confirme la règle, pas vrai ? Ou pour le quota de représentativité de la diversité ? Au salon du camping, ils affichent que 70% des randonneurs ont plus de 50 ans. Le zéro doit être de trop, la faute de frappe est humaine…
8. Sans projet. Peter Davies a changé de sexe à 90 ans et est devenu Patricia. Et pourquoi pas jouer à la poupée Barbie ? Ça rime à quoi ces élans existentiels, ces retours en enfance ? On ne devrait pas les autoriser.
Vous êtes toujours là ? Vous me lisez encore ? Vous trouvez que j’exagère ? Que j’ai même déjà pété une durite ? Oui, je vous faisais marcher. Je ne suis pas ingrate.
J’adore être une senior et je porte dorénavant fièrement cette nouvelle identité qui transcende ma personnalité. Au moins, c’est plus facile à comprendre.
Je suis flattée qu’on me complimente d’être encore bien pour mon âge. J’espère qu’il y a aura bientôt une médaille du Senior Vieilli Dignement (on ne fait plus d’enfants, elle remplacera celle de la famille nombreuse). Je m’applique pour être un bon cru.
Je suis fière de faire partie de ces humains mutants qui possèdent des particularismes incroyables. Deux exemples rapides tirés de 2 billets, tout aussi rapides : "ils ont encore une vie sexuelle, ce qu’ils font sous la couette" ou "plus la lecture est aisée sur un site, plus le senior va avoir une première impression de satisfaction sur l’information qu’il découvre".
Je suis reconnaissante de l’attention que je reçois. Merci de braquer le projecteur sur mon état et sur celui de mes congénères. Mais maintenant, s’il vous plait, laissez-moi tranquille.
Je veux juste continuer de vivre le mieux longtemps possible et d’insuffler du vivant dans l’air de mon temps.
* 1 adulte sur 5 de -35 ans fait du bénévolat, selon le centre de recherches des associations, octobre 2018.
** 27% de tous les donneurs font des dons en ligne. Source : statistica.com
*** Résidence Amenida Seniors Surrey, Colombie Britannique.
J'adore votre article : impertinent, second degré, drôle. Je fonce découvrir les autres. merci.