Les étiquettes, Nadalette La Fonta n’en veut pas : ni celle de "jeune", ni celle de "vieille", ni celle d’"handicapée". A la suite d’un accident opératoire, celle qui vivait une vie de Wonder Woman hyperactive devient paraplégique. Trois ans après l’accident, la voilà devenue écrivain et conférencière. Transformée par une opération qui a mal tourné, Nadalette revient sur cette épreuve dans son deuxième livre, "Nos tempêtes sont à la hauteur de nos rêves, manifeste pour ne pas passer à côté de sa vie" (Guy Trédaniel éditeur). Et nous livre au passage un puissant témoignage, exemple inspirant de résilience et de courage. Découvrez-le par vous-même !
Est-ce que tu te reconnais dans ce mot, "vieille" ?
Je ne me reconnais pas dans le mot "vieille", de même que je ne me reconnaissais pas dans le mot "jeune". Ni dans le mot "handicapée". J’ai un handicap. J’ai un âge. Mais je ne suis ni mon âge, ni mon handicap.
Pour moi, l’âge n’est pas un sujet. C’est un état. Je n’aime pas ces espèces d’étiquettes qu’on t’attribue alors que ce n’est qu’une composante d’une identité. Non, je ne me reconnais pas dans le mot "vieille". Par contre, je me sens par moments moins jeune, avec des résistances moins fortes, avec d’autres désirs. Je me sens dans un état différent de celui de mes 30 ans et encore plus de mes 18 ans. Mais à mes 18 ans je n’avais pas l’impression d’être un bébé Cadum ni de ne pas avoir mon mot à dire. Je ne me sens ni vieille ni jeune. Profondément.
Quel est ton âge ressenti ?
Disons que quand j’avais 18 ans, j’avais l’impression d’en savoir 30. Aujourd’hui j’en ai 67 et j’ai l’impression d’en avoir 40 ou 45. En dessous de la cinquantaine en tous cas. Il y a eu pour moi un changement de paradigme à la cinquantaine. Je me suis dit : "Ce n’est pas possible, j’ai 50 ans !". Je suis un peu restée figée là-dedans, c’est-à-dire plus dans l’âge des maternités. Parce que corporellement, physiquement je ne me sens plus dans cette énergie-là. Mais pas encore non plus dans l’âge de la retraite. Ce qui est paradoxal. "Mais quand est-ce qu’elle va arrêter ?", on se demande autour de moi. Je n’ai pas envie d’arrêter. J’ai juste envie de faire ce qui est bon pour moi.
Comment t’es-tu transformée avec le temps ?
Pour moi, la vie est un cheminement, étape par étape. Il n’y a pas d’étape bonne ni d’étape mauvaise. Il n’y a pas d’étape créative ni d’étape improductive. Il y a des étapes différentes qui sont ce dont on a besoin, envie et ce qu’il est juste qu’on vive au moment où on le vit. Le temps n’est pas le sujet. Et puis un jour, tout change.
Pour moi, il y a eu un avant et un après l’opération. Ce n’est pas forcé d’être avec une épreuve que ce genre de choses arrivent. Ce n’est pas du tout nécessaire de devenir paraplégique pour se transformer ! Il y avait une certaine cohérence de vie jusqu’à cette opération qui été loupée. J’avais une vie de femme active, de mère probablement très possessive, de copines, de bringue… Une vie d’hyperactive.
Je me suis retrouvée à l’hôpital pendant 9 mois incapable de bouger, de lire ni d’écrire sans aide. Je n’avais accès qu’à ce que mes mains pouvaient atteindre : ce n’est pas énorme. J’ai eu un grand choc culturel. Quand tu as un certain nombre de chocs dans le deuil, tu te retrouves avec des choix à faire, qui sont soit des choix que tu peux mettre en place volontairement, soit des choix qui te sont imposés. Très clairement, le chemin imposé c’est que je suis paraplégique : je ne peux pas marcher seule en toute autonomie dans la rue, même si je suis debout aujourd’hui. J’ai des douleurs et ça, je ne peux rien y faire.
Globalement, être paraplégique à 60 ans, ça ne fait pleurer personne.
Par contre, moi qui étais toujours pressée, qui avais 15 000 choses à faire, qui pensais que demain allait être mieux et qui se projetais trois mois à l’avance sur ce que j’allais faire, je me suis retrouvée du jour au lendemain avec un quotidien totalement vide. Il n’y avait pas d’hier, pas de demain. Il y avait juste le présent. J’ai changé mon rapport au temps, qui est devenu quelque chose d’assez malléable, d’assez lent. Quand je faisais 5 minutes de rééducation j’étais épuisée comme si j’avais fait 3 jours de marathon.
J’ai eu du temps pour discuter avec moi-même, ce que j’avais totalement évité jusqu’alors. Pour réfléchir à un certain nombre de choses. Pour me rendre compte qu’il y avait tout un pan de ma vie qui disparaissait. Et que de ce fait, qu’est-ce que je mettais à la place ? C’est là où j’ai eu la chance d’avoir ce rêve de mes 18 ans qui est remonté à la surface.
J’ai écrit un rapport d’expertise sur mon accident. Quand il y a un accident opératoire, on te demande ce que tu as comme doléances : ce que tu as perdu dans l’opération, ce que tu ressens comme douleurs, la perte d’autonomie, la perte financière, la perte morale avec l’esthétique… Les compagnies d’assurance regardent la perte d’autonomie ou la perte d’esthétique et la pondèrent avec l’âge. Globalement, être paraplégique à 60 ans, ça ne fait pleurer personne. Ta valeur marchande n’est pas la même à 60 ans qu’à 20 ans.
On considère que le préjudice n’est pas le même, parce qu’on le ramène probablement à l’âge de la mort et à l’utilité sociale. On te fait comprendre que si tu es dans un coin avec deux ou trois plantes vertes, ça ne va pas changer la face du monde. Tandis qu’en réalité, j’avais une force de travail et une force de création beaucoup plus importante à 60 ans qu’à 30 ans.
C’est très désagréable parce qu’évidemment, si je suis paraplégique, je souffre autant, quel que soit mon âge. Je comprends les deux aspects mais ce que j’ai vécu est bien dans la continuité de l’idée selon laquelle il y a un âge où tu es considéré comme bankable, rentable, intégré dans la société. Avant tu as intérêt à apprendre et à fermer ta gueule et après, il faut qu’on ne t’entende plus. Et pas de bol, j’ai continué à parler !
J’ai continué à écrire ce rapport d’expertise qui s’est transformé en livre. Quand j’ai fini "Le roseau penchant", je l’ai lu. Je me suis dit : "c’est quand même brut de décoffrage, ma fille". Je l’ai fait lire à mes proches pour vérifier qu’ils n’allaient pas péter un câble. Ils ont dit : "banco, essaie de trouver un éditeur". J’avais deux solutions : soit je le remettais dans mon disque dur, on n’en parlait plus et je ne prenais pas de risque ; soit je prenais le risque, et advienne que pourra. Advienne que pourra, ça a été de trouver un éditeur. Pour quelqu’un qui n’avait pas du tout de connaissances dans l’édition c’était déjà miraculeux d’être éditée. Et puis après, ça a été une aventure qui a continué avec ce deuxième livre.
J’ai commencé par écrire sur la colère et la douleur et puis c’est devenu un livre. "Le roseau penchant, histoire d’une merveilleuse opération" (Fauves éditions) est sorti 3 ans jour pour jour après mon opération, le 14 octobre 2017. Fin 2018, j’ai fait une première conférence avec Isabella Lenarduzzi qui a fondé "Jump", une entreprise sociale qui œuvre pour l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est une fille incroyable. Dans cette conférence je parlais de ma vie de femme active et de la manière dont je suis passée de cette vie à celle que j’ai aujourd’hui. Et surtout, j’évoquais les souffrances qu’il y avait aussi dans cette vie de femme active. C’était la première fois que je partageais quelque chose d’intime face à un public. Quand la conférence s'est terminée, j'ai vu une salle debout en train d’applaudir et toutes les filles en larmes. On a fait un test de Rimmel grandeur nature ! J’ai fondu en larmes et c’était très chouette !
Le fait d’être femme publique a une incidence sur les gens qui me connaissent. Beaucoup de personnes étaient prêtes après mon accident à se dire : "pauvre fille, on va faire notre bonne action, on va aller la voir tous les ans et lui apporter des petits gâteaux". Ils commençaient à se mettre dans cette position où ils allaient m’apporter des petits gâteaux de temps en temps et pouf, ils se retournent et je suis sur Youtube avec 2 millions de vues sur TEDx.
Qu’est-ce qui t’anime aujourd’hui, te donne envie de te lever le matin ?
L’envie d’écrire. De profiter de la vie, parce que j’ai bien compris que c’est quelque chose d’éphémère. J’ai le sentiment que je ne veux pas la gâcher. Par moment, je n’ai pas envie de me lever le matin et je m’y autorise. Quelque chose qui a beaucoup changé aussi, c’est mon rapport à la nature. J’ai besoin d’aller me promener. Je suis beaucoup plus connectée à la lumière et à la nature que je ne l’étais avant. Ça vient de sortir ça !
Est-ce qu’il y a un mot ou une expression qui t’agace ou te dérange quand on en vient à parler d’âge ?
Ça m’agace quand on me pose la question de l’âge. What the f*** ? L’expression "à son âge" fait qu’on tag, qu’on donne des attributs à l’âge. Alors que c’est dans la tête que ça se passe. J’avais une tante qui est morte cette année, à 99 ans. Elle n’a été vieille que la dernière année avant sa mort. Le reste du temps elle s’intéressait à tout. Bien sûr il y avait des trucs qu’elle ne pigeait plus. Mais elle s’intéressait aux autres. C’était quelque chose d’absolument fabuleux.
Au nom de quoi l’âge est-il un critère d’identification ?
Elle avait probablement des travers mais c’était une femme que tu pouvais emmener dans un restaurant et même si c’était un mauvais restaurant mais elle te disait : "c’est merveilleux, j’ai été avec toi et c’était le meilleur restaurant du monde". Je crois que c’est peut-être pour ça qu’elle n’a jamais été vieille. C’est une manière de regarder la vie qui est fabuleuse. C’est ce qui fait qu’elle a été entourée presque jusqu’à son dernier jour. C’est un bon modèle. Il y a des choses qu’elle aurait voulu faire et qu’elle n'a pas fait, bien sûr. Mais elle était absolument exceptionnelle.
C’est ce qui me fait dire : au nom de quoi l’âge est-il un critère d’identification ? Dans le livre, je parle de jeunisme et d’âgisme. De cette retraite qu’on nous a présenté des années comme la parade ultime mais qui pour moi n’a aucun intérêt. Je peux concevoir que certaines personnes n’aient plus envie de travailler et soient contentes de prendre leur retraite. Mais pour moi, ce n’est pas un objectif. Quand je voyais tous ces gens qui travaillent et me disaient : "la retraite, ça va être fabuleux, je vais jouer au golf tous les jours !", je ne m’y retrouvais pas. Ce n’était pas du tout un objectif dans ma vie. Avant mon opération, je disais que je travaillerais jusqu’à 75 voire 80 ans, tant qu’on ne m’aura pas virée. Et c’est ce qui va se passer. Tant que je peux écrire et que mon cerveau fonctionne, je continuerai à travailler.
Est-ce que tu as envie d’ajouter quelque chose ?
J’ai envie de dire que ce qui est important, c’est de profiter intensément de l’instant présent. De n’avoir ni remords ni regrets. Et de ne pas se dire qu’on a loupé des trucs ou qu’on va en louper. On fait autre chose. Franchement, depuis que je suis alignée, que mon corps, mon cœur et mon esprit sont alignés ; que j’ai commencé à m’aimer, ce qui a pris un certain temps, mais à m’aimer vraiment, à prendre soin de moi avant de prendre soin des autres… il y a un champ des possibles absolument extraordinaire qui se déploie. Si on fait plus de la même chose, on obtient les mêmes résultats. Par contre, si on s’ouvre à la diversité, au changement, à l’inconnu, on ne peut que rencontrer des choses auxquelles on ne s’attendait pas et qui sont, je trouve, formidables.
Pour aller plus loin :
Le site de Nadalette La Fonta, où vous trouverez ses livres, conférences et prises de parole.
"Trop tôt, trop tard, je refuse qu’on décide de ma vie en fonction de mon âge", tribune de Nadalette La Fonta publiée dans le Huffington Post.
Avis à vos commentaires et témoignages, quel que soit votre âge !
Propos recueillis le 27 Septembre 2022.
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