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  • Photo du rédacteurJosiane Asmane

Les jeunes d'un côté, les vieux de l'autre

Chroniqueuse télé, journaliste et critique littéraire, Josiane Asmane publie cette année son premier livre aux éditions Flammarion : "Les Fleurs de l’âge, enquête sur les femmes qui se réinventent". A l’origine de cette enquête, il y a une rencontre : celle de Jacqueline, alias Jackie, à un club de lecture. Une septuagénaire boute-en-train avec qui Josiane se lie d’amitié et qui lui inspire ce livre sur ces plantes vivaces que sont les "perennials" : des personnes qui se réinventent au fil des années et font fi des stéréotypes liés à leur âge. Trop vieille pour travailler ? Pour être amoureuse ? Pour nouer des amitiés intergénérationnelles ? Trop jeune pour s’intéresser à la vieillesse ? Qu'importe. Voici son coup de gueule, dans la droite ligne de son enquête.


Jeunes et vieux : si loin si proches ?

En février dernier, mon premier livre a été publié chez Flammarion. Il s’intitule Les Fleurs de l’âge. C’est un essai sur les femmes qui se réinventent à tous les âges de la vie. Je suis partie interroger des femmes ayant entre 50 et 101 ans, qui mènent leurs vies professionnelle, sociale et amoureuse sans jamais se soucier de leur âge.


À sa sortie, le livre a eu un bel accueil dans les médias : interviews dans la presse, radio, TV, etc… Quelle chance ! À chaque entretien, j’ai remarqué une question récurrente : “Pourquoi une jeune femme de 30 ans s’intéresse-t-elle aux femmes plus âgées ?”, me demandent systématiquement les journalistes. Sous-entendu : pourquoi une jeune accorderait-elle de l’intérêt aux vieux ? C’est vrai, ce n’est pas de mon âge de fréquenter des vieilles dames.


Cette question est très intéressante car elle est symptomatique de notre temps, celui où l’on segmente la population en fonction de l’âge. Les jeunes d’un côté et les vieux de l’autre. Il serait donc plus normal que les jeunes restent entre eux car ils n’ont sans doute pas de point commun avec leurs aînés.


Par-delà les âges


On demande à une jeune femme pourquoi elle parle aux vieux. Dans ce cas, autant demander à un Espagnol pourquoi il s'intéresse aux Français. Pourquoi un homme s’intéresserait-il aux femmes, pourquoi un enfant s'intéresserait-il aux adultes ?


Si on pousse le raisonnement un peu plus loin, on peut se demander pourquoi parler à des gens différents ? Pourquoi s’intéresser à ce que l’on n’est pas ? Ah, nous y voilà ! La question sous-jacente est bien de savoir pourquoi aller vers l’autre. Au fond, pour quoi faire ? Quelle question absurde ! La richesse d’une société n’est-elle pas justement dans la mixité ? Dans le brassage des âges, des générations, des cultures et des différences. Pourquoi faudrait-il uniquement s’intéresser à ceux qui sont comme nous ? C'est d'autant plus absurde que nous sommes toutes et tous des vieilles et vieux en devenir.

On peut beaucoup quand on arrête de réfléchir en fonction de son âge.

On a tout à gagner à aller parler à des personnes plus âgées. Elles ont les réponses à nos questions, pour la simple et bonne raison qu’elles sont déjà passées par là, elles ont déjà vécu tout ça. Rencontrer ces femmes m’a fait prendre conscience du regard que je portais sur les personnes âgées, et sur les stéréotypes (inconscients) que j’avais à leur égard. L’écriture de ce livre a changé ma vie.


"Trop vieille pour..."


Comme disait Jeanne Moreau, “la peur de vieillir abîme plus que l’âge”. Ce n’est pas le fait de vieillir qui pose problème, c’est le regard que l’on va porter dessus. C’est le point de vue qui détermine l’acceptation (ou le refus) d’avancer en âge. Pas l’âge en tant que tel.


Mais d’abord, de quel âge parle-t-on ? De celui qui est sur votre carte d’identité, de celui que vous faites, ou de celui que vous ressentez ? Il n’y a pas un âge mais des âges. On peut avoir 90 ans et se sentir comme un ado en tombant amoureux d’une sexygénaire. On peut avoir 60 ans et être en pleine forme, avec l’envie de conquérir le monde. Mener des projets avec la même passion qu’à 20 ans. On peut beaucoup quand on arrête de réfléchir en fonction de son âge. Au fond, je suis peut-être une vieille dame dans le corps d’une jeune.


Une chose est sûre : ce n’est jamais une question d’âge. L’âge est une notion floue et démodée. C’est une case qui peut enfermer dans des comportements conditionnés. Combien de fois ai-je entendu des femmes dire “je suis trop vieille pour…”. Il est facile de compléter la suite : je suis trop vieille pour changer de métier et faire ce que j’aime vraiment, je suis trop vieille pour continuer à m’habiller comme j’en ai envie, je suis trop vieille pour retomber amoureuse… La liste est longue. Il est temps de prendre conscience des freins psychologiques autour de l’âge.


L’âge n’a pas vocation à nous diviser en catégorie, ni à segmenter la société en groupes distincts. “Cette manie de découper la population en rondelles, en fonction des dates de naissance” déplore Annie Kahn dans Le Monde*. Si l’on considérait l’âge comme une simple donnée, il ne conditionnerait pas notre état d’esprit. Le pire ? Utiliser les expressions telles que “à mon âge” ou “de mon temps”.


À la question “pourquoi une jeune femme s’intéresse aux vieilles dames” je répondrais qu’il ne faut pas réfléchir en termes d’âge mais de rayonnement. C’est ce que m’a conseillé Patricia, l’une des femmes interrogées dans mon livre, une slasheuse DJ et conférencière de 60 ans.


A chaque âge, sa case


L’autre jour, ma voisine m’arrête dans la rue. Elle s’appelle Josiane, comme moi. Elle est grand-mère. Elle me dit qu’elle est en train de lire mon livre et qu’elle l’aime beaucoup. Mais deux choses la chagrinent dans mon récit : le fait que je ne sois pas (encore) mariée ni mère, à mon âge. Elle me conseille gentiment de me dépêcher, et me dit en rigolant qu’elle est même prête à m’expliquer comment faire.


J’allais simplement faire mes courses, et je me retrouve à subir une injonction sur ce que je devrais faire de ma vie intime, de la part d’une personne que je ne connais même pas. Demander à quelqu’un pourquoi il ne se comporte pas comme ce qu’on attend de lui, à son âge, c’est une injonction.


C’est l’incarnation même de l'âgisme : faites les choses selon votre âge, et vite ! Sinon, attention à la sanction sociale. C’est drôle, mon livre est né d’une rencontre avec une femme de 70 ans que je trouve époustouflante, moderne et libre. Elle est aujourd’hui devenue une amie. Si j’avais réfléchi en fonction de mon âge, peut-être n'aurais-je jamais écrit ce livre. Peut-être serais-je restée avec les gens de mon âge, à faire des activités de mon âge. Mais, une chose est sûre : l’entre-soi n’a jamais fait évoluer une société.


Ce n’est pas de mon âge d’aller vers les femmes de plus 50 ans, qu’à cela ne tienne ! Laissez-moi vous montrer les lettres que j’ai reçues de la part de Brigitte Macron et de Roselyne Bachelot à la parution de mon livre. “Vous avez touché juste” m’a écrit (à la main) la première dame de France. Preuve en est que ce sujet touche toutes les femmes, à tous les niveaux, même au plus haut sommet de l’Etat.


On m’a plusieurs fois demandé si j’étais gérontologue ! Je ne le suis pas. Et je suis surtout fière de ne pas être jeuniste.


Pour aller plus loin :


* "Plutôt que de célébrer les millennials, mieux vaut déceler les perennials", publié le 23 juin 2018, Le Monde.

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