"Vieille peau" : le titre est décapant et le propos du livre, publié le 17 mai aux éditions Belfond, franchement réjouissant. Dans cet essai que la journaliste et militante féministe Fiona Schmidt consacre aux femmes, à leur corps et à leur âge, il est question de genre, de ménopause, de sexualité, de maltraitance, d’âgisme et de la manière dont le vieillissement menace les femmes d’extinction sociale… Coup de cœur !
Il aurait pu s’appeler "vieille fille", "vieille bique", "vieille chouette" ou "sorcière" of course, tant les expressions péjoratives pour désigner les femmes âgées sont nombreuses. Mais c’est sur le délicieux titre "Vieille peau" que la journaliste et autrice féministe Fiona Schmidt a jeté son dévolu pour son essai fraîchement publié aux éditions Belfond.
Sous-titré "les femmes, leur corps, leur âge", le livre nous embarque dans un périple à l’intersection de l’âgisme et du sexisme, dans une contrée où il fait mal vivre et surtout, mal vieillir.
Quand tout devient trop tard
Fiona Schmidt a 40 ans quand elle écrit "Vieille peau" et ce n’est sans doute pas un hasard :
"Avant d’écrire ce livre, explique-t-elle, je croyais que vieillir, c’était quand tout devenait trop tard. J’avais appris qu’à 40 ans, les femmes étaient soit casées, soit cassées ; arrivées et conformes, ou définitivement perdues (…). Pour moi, l’existence était la version darwinienne du jeu des chaises musicales, une course contre la montre pour trouver sa place, puis une épreuve de résistance pour la garder, le plus longtemps possible. ‘Bien vieillir’, pour moi, c’était résister".
Résister aux assauts du temps. Résister pour conserver sa place et sa féminité-jeunesse coûte que coûte. Tout un programme ! Probablement pas une vie, certes, mais un programme bien ficelé, prêt à l’emploi.
Cases à cocher
Vous avez peut-être déjà ressenti cette urgence à cocher des cases avant de vite, trop vite, risquer d’être mise hors-jeu parce que jugée non conforme à un certain nombre d’attentes correspondant à votre tranche d’âge.
Victoria que j’ai eu la chance d’interviewer pour Coup de vieilles, rejoint dans son témoignage le constat de Fiona Schmidt :
"Tu nais avec l’idée qu’on est jeune à 20 ans, qu’à 35 on doit être mariée avec des enfants, qu’à 40 ans si tu n’es toujours pas mariée avec des enfants, il y a problème. A 50 ans, tu es installée, tu as ta voiture, tu n’as plus de crédit, tes enfants sont mariés ou ont fait de grandes études. A 60 ans, tu as une retraite plutôt confortable et tu pars en croisière toute ta vie… ".
Elle ajoute : "Mais la vie ce n’est pas ça ! Ce n’est pas du tout ça. Je dirais même que l’âge, c’est comme un numéro de rue ou une adresse postale. J’habite telle rue, dans tel endroit, et alors ?".
Fiona Schmidt a donc 40 ans quand elle écrit cet essai. Elle est en couple depuis des années et a choisi de ne pas avoir d’enfants. Elle est la belle-mère de 3 filles sans pour autant s’être convertie au doux rôle de marâtre auquel on l'aurait facilement cantonnée. Et alors ?
Ils bandent, donc je suis
Loin d’être un essai désincarné, "Vieille peau" nous transporte dans l’histoire de son autrice. Dès les premières pages, elle partage son expérience et nous en dit plus sur les raisons qui expliquent pourquoi selon elle, vieillir, c’était quand tout devenait trop tard.
Elle raconte que très tôt, comme beaucoup de femmes biberonnées aux contenus culturels un poil âgistes dans lesquels nous baignons (publicités, médias, films, séries…), elle a appris à contrôler son apparence pour mieux plaire et surtout, pour coller à un idéal de féminité caractérisé par "la beauté, la candeur, la vulnérabilité et la fertilité".
Comment dès 10 ans, parce qu’elle avait grandi plus vite que les autres, elle a cessé d’être considérée comme une enfant pour être traitée en femme, objet de tous les regards, notamment masculins.
"Ils bandent, donc je suis" : lapidaire, la formule a le mérite de mettre l’accent sur l’importance que peut avoir le regard des hommes dans la construction de l’identité féminine, du moins pour bon nombre de femmes hétérosexuelles. Si ce cogito ergo sum revisité vous intéresse, je vous invite à jeter un œil à cet article sur l’andropause, qui en dit long sur l’identité masculine.
Jeunes et jolies, mais pas sereines
Lire "Vieille peau" m’a fait prendre conscience du fait que j’avais été biberonnée aux mêmes contenus. Dopée aux mêmes récits. Que j’avais aussi très tôt appris à m’observer et dans la mesure du possible, à me préserver comme si mon corps était un objet : une chose inanimée, non soumise au temps par l’effet magique d’une bonne fée qui se serait penchée sur mon berceau pour me prodiguer toutes les qualités attendues d’une femme, au premier rang desquelles l’immutabilité.
Abracadabra, à moi la peau éternellement tonique !
Je me suis aussi souvenue de ce jour où, pendant mon adolescence, j’ai du jour au lendemain arrêté de consommer de la presse féminine – pour les plus jeunes qui liront ce post, j’en profite pour préciser, au risque de passer pour un dinosaure, qu’à mon époque pas si lointaine, les contenus des influenceuses sur Instagram, Tiktok & co n’étaient pas d’actualité. La tendance était à la lecture de magazines papier achetés dans des bureaux de poste, aux titres évocateurs comme "Jeune et jolie", que j’adorais.
A posteriori, je me rends compte que cet arrêt brutal était motivé par plusieurs raisons. D’abord parce qu’il fallait à chaque fois débourser de l’argent pour s’offrir ces magazines. Or je ne gagnais pas encore ma vie. Et puis parce les femmes que j’y voyais me donnaient des complexes, me vendaient des produits cosmétiques que je ne pouvais pas m’offrir et que je n’avais pas particulièrement envie de m’auto-administrer, me faisaient indirectement entendre que j’étais toujours soit "trop" soit "pas assez" (mince, grande, belle, à la mode...).
Bref, ces magazines ne me faisaient pas du tout de bien.
Féminines à tous prix ?
Celle qui a longtemps été journaliste dans la presse féminine sait de quoi elle parle :
"J’ai acheté ma première crème anti-âge à 18 ans, raconte Fiona Schmidt, ma première crème antirides à 25 ans, teint mon premier cheveu blanc à 30, reçu mon premier échantillon de crème repulpante à 32 et ma première injection de botox à 35, hésité à passer directement au formol à 40 – que me restera-t-il à 50 ?".
Que nous restera-t-il à 50 ans si nous passons nos 30 premières années à lutter contre les effets de l'âge sur notre peau ? Nos yeux artificiellement lissés pour pleurer, pardi !
Livre brûlot, "Vieille peau" est écrit avec la verve de quelqu’un qui a le sujet chevillé au corps. Avec humour aussi, de cet humour qui vous fait rire jaune mais rire quand même !
Le temps qu’il nous reste
Après "Qui a peur des vieilles", voilà un essai qui nous invite à sa manière à mieux nous aimer, au fur et à mesure que nous avançons dans la vie et dans l’âge. A mettre en perspective les injonctions contradictoires dont nous faisons souvent les frais. A mieux habiter notre corps, qu’il soit ridé un peu, passionnément, à la folie ou pas encore.
"Vieille peau" invite aussi à ne pas se dire trop vite qu’il est "trop tard". Et à réfléchir non pas à ce que le temps qui passe nous inflige mais à ce que nous voulons faire du temps qu’il nous reste. Alors si vous êtes toujours là, je profite de ce post pour vous poser la question : que voulez-vous faire du temps qu’il vous reste ?
Si vous avez envie d’aller + loin, ces 2 vidéos parlent des vieilles peaux :
Avis à vos commentaires et témoignages, quel que soit votre âge ;)
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